Le mobile money adopté dans les zones enclavées du Bénin
« Dieu bénisse l’inventeur du mobile money ! » Ce vœu formulé énergiquement par Toussaint Sounouvou, traduit tout son enthousiasme pour les services financiers numériques (SFN). Toussaint chef maçon de la localité de SôA Va, cité lacustre à environ 31km de Cotonou, célèbre pour ses maisons sur pilotis, explique : « je reçois tous les paiements des chantiers que je gère et je paie mes maçons par mobile money. Vous ne pouvez imaginer à quel point ce service m’a facilité la vie. »
Nous l’avons rencontré avec des acteurs de la finance digitale au Bénin, dans le cadre du dernier groupe de travail de UNCDF-MM4P de l’année 2018. A l’instar du Sénégal, le groupe de travail a effectué une visite de terrain pour capter les problématiques des agents en zone rurale. Tous les participants, représentants des banques, opérateurs télécom, institutions de microfinance et le régulateur se sont rendus à Comé, Ouidah et SôA Va. La visite a révélé les vrais besoins des habitants de ces zones en matière de SFN illustrés ici à travers le portrait de quelques agents et clients rencontrés.
Gabriel était vendeur de crédit téléphonique à Ganvié. Il a décidé de se lancer dans la distribution de mobile money, à la suite des nombreuses demandes de ses clients. Agent Cash Zone, il a démarré avec un capital de 150 000F CFA. Coaché par sa femme, grande commerçante, dans la gestion de son activité, il tient en plus un commerce de détail qu’il renforce avec les commissions perçues du mobile money. Gabriel est plutôt satisfait de son rôle d’agent qui lui confère une place importante dans sa communauté. Très investi dans ce rôle, il n’hésite pas à payer de sa poche pour faire de l’éducation financière ou des opérations marketing.
« Parfois j’achète des cartes SIM que j’offre aux clients de ma boutique qui n’ont pas un compte mobile money et je leur explique son utilité. Ici, les gens vivent de la pêche et de l’artisanat. Les revenus ne sont pas forcément élevés mais les gens reçoivent beaucoup d’argent de leurs clients basés à Cotonou ou d’autres localités du pays et c’est une opportunité d’affaires pour moi. »
De l’autre côté de la cité, Léonie tient le même type de commerce grâce son mari. « J’ai commencé l’activité grâce au soutien financier de mon mari. Je fais une dizaine de transactions par jour et je gagne facilement 20 000f CFA par mois après déduction de toutes les charges. » Un montant qu’elle pourrait doubler sans les problèmes d’électricité qu’elle rencontre souvent. Son téléphone peut rester éteint des jours. Souvent elle envoie le portable à charger dans une localité proche ou elle paie un voisin qui a un kit solaire. Elle est souvent à cours de liquidité et pioche dans son fonds de commerce pour s’approvisionner. A la question : « un prêt pourrait-il aider à renforcer son activité ? », elle répond catégoriquement non. Elle ne s’imagine pas emprunter de l’argent, elle ne savait même pas que cette possibilité existe. Dans sa localité, il n’y a aucune institution financière. Elle fait office de « banque » pour ses voisins. Sur la question de la fraude, Léonie a développé sa propre technique de détection de faux billets et arrive à contourner les arnaques.
Non loin de Léonie, Razak, le coiffeur de la localité est un grand client mobile money. Sa spécificité, c’est qu’il sert de relais à une grande partie des immigrés de SôA Va qui envoient de l’argent à leurs parents dans la localité. « Je fais régulièrement des retraits pour certains habitants qui soit n’ont pas de téléphone ou de compte mobile money. Il y a beaucoup d’analphabètes dans la localité qui préfèrent passer par moi pour ne pas avoir à gérer les formalités ou les problèmes de code secret par exemple. » Razak qui suit l’actualité de très près a entendu parler de mobile money dans les médias et a immédiatement souscrit au service. Même s’il est intarissable sur l’intérêt du service pour sa localité à cause de la facilité d’accès aux fonds et du gain de temps, il n’est pas encore prêt à épargner sur son téléphone. « Ici tout le monde dit qu’il ne faut surtout pas garder de l’argent dans une machine, au risque de le perdre. Je préfère garder mon argent et les bénéfices de mon salon de coiffure dans un endroit secret ». La machine, c’est le téléphone portable ! Et comme pour étayer son argument, il évoque toutes les rumeurs et arnaques entendues à la radio et auprès de ses clients.
D’une zone rurale à une autre, les problématiques restent les mêmes en ce qui concerne l’accès aux services financiers digitaux : connectivité, accès à l’infrastructure, problème de liquidité et désinformation.
Cependant, le comportement des habitants diffère. A SôA Va par exemple, l’enthousiasme autour du mobile money est réel. Pour cause, il n’y a aucune banque ou institution à la ronde, les agents mobiles money sont les seuls points de services financiers de proximité pour les habitants. Autrement, il faut prendre une barque et traverser la lagune pour aller à Cotonou.
Les agents rencontrés se sont approprié le service et n’hésitent pas à trouver des solutions que ce soit pour faire le marketing de leur service comme Gabriel et ses cartes SIM ou pour parer à d’éventuels problèmes de sécurité comme Léonie avec son système de détection de fraude.
Cet enthousiasme semble être partagé par beaucoup de béninois qui s’intéressent de plus en plus aux SFN. Depuis 2015, le mobile money a connu une forte progression dans le pays . La mise en place du groupe de travail et des activités comme cette visite de terrain ont permis de nouer des partenariats entre les fournisseurs de services pour augmenter les points d’accès au mobile money et lancer des offres adaptées aux besoins de la population. A fin 2017, le Bénin comptait 7 millions de comptes mobiles money et sur 100 comptes ouverts, 56 étaient actifs.