Plaidoyer pour une finance digitale plus inclusive au Sénégal
Par Serge Moungnanou, Consultant en Finance Digitale, MM4P
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Bery Kandji
Consultante en Knowledge Management
et Communication
MM4P
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Répartition des personnes disposants de comptes dans une banque, institution de microfinance, compagnie d’assurance ou à la poste (ESRIF).
L’année écoulée aura été particulièrement active pour la finance digitale. Les fournisseurs de services financiers numériques (SFN) ont redoublé d’efforts pour attirer de nouveaux clients. De nouvelles offres ont fait leur entrée sur le marché notamment « YUP » et « ECOBANK mobile » , portées par deux grands groupes bancaires de la place.
Les opérateurs de transfert d’argent, toujours aussi dynamiques, se sont de plus en plus tournés vers des solutions digitales qui permettent au client de disposer d’un service à portée de main, ou plutôt à portée de son téléphone !
Le Gouvernement a aussi été actif avec la relance de la Stratégie Nationale d’Inclusion Financière, en droite ligne avec la Stratégie Régionale d’Inclusion Financière dans l’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine),adoptée par les états membres en Juin 2016. L’année a aussi été jalonnée de rencontres entre acteurs de la finance, favorisant ainsi les échanges et des idées de partenariat pour développer de nouveaux modèles de SFN.
Le programme MM4P n’a pas été en reste, en rassemblant des acteurs de toutes les catégories autour d’un groupe de travail sur la finance digitale au cours duquel des thèmes fédérateurs comme l’éducation financière pour les masses, les types de partenariats possibles dans l’écosystème des SFN, la réglementation sur l’Agency Banking ont été discutés. Tous ces développements intéressants sont annonciateurs de belles perspectives pour l’année qui commence.
Cependant, le développement de nouvelles offres SFN n’est pas suffisant pour contribuer réellement à l’inclusion financière ; encore faut-il que ces offres adressent les besoins des populations habituellement exclues du système financier.
Force est de constater que les populations des zone rurales, les femmes, les jeunes et les personnes ayant un faible niveau d’éducation, n’ont pas suffisamment accès aux services financiers. Selon la plus récente Enquête sur la Situation de Référence de l’Inclusion Financière au Sénégal (ESRIF), ces segments sont sous-représentés. Par exemple 31% des personnes habitant en ville disposeraient de comptes dans une institution financière1 contre seulement 10,4% en zone rurale.
Le paysan de Dagan Birame2 n’a pas forcément besoin de payer sa facture d’électricité ou bien de payer des frais scolaires dans les grandes universités Sénégalaises. Par contre, il pourrait être plus intéressé par un service qui s’intègre à son quotidien, à son environnement, comme un service de crédit ou d’épargne digital pour développer son activité agricole.
Les personnes ayant un niveau d’instruction limité ne devraient pas se sentir exclues des offres de finance digitale. Une expérience intéressante menée en Inde par le cabinet MicroSave a prouvé que la cible illettrée peut aussi utiliser activement un portemonnaie électronique si sa façon particulière de raisonner et de calculer est intégrée dans l’expérience utilisateur du portemonnaie. Le cabinet a développé la solution MoWo, une interface qui permet aux illettrés d’utiliser un compte de monnaie électronique grâce à l’utilisation d’images et icônes. (Voir photo)
Interface MoWo utilisée en Inde. Crédit : MicroSave
Le taux d’adoption des smartphones au Sénégal est assez élevé3, y compris dans les zones rurales où il est maintenant fréquent de voir des personnes, ne sachant ni lire ni écrire, utiliser un smartphone pour communiquer avec leurs proches.
Aux contraintes infrastructurelles et structurelles qui peuvent militer contre la priorisation du monde rural (instabilité du réseau téléphonique, absence de réseau 3G, pas d’électricité, cout d’un smartphone, cout de la connexion 3G, …), s’oppose l’aspiration forte des populations à s’intégrer dans la modernité en possédant un téléphone (voire smartphone) et en l’utilisant, eux aussi, de façon intégrée à leur vie de tous les jours au village.
Il est certes rassurant de voir l’évolution du marché sénégalais des SFN , avec la multiplication des offres. Mais il est temps de changer le paradigme qui consiste à déployer des services bénéficiant plus aux populations éduquées, résidant en milieu urbain, et à majorité masculine. Cela permettrait non seulement d’augmenter l’inclusion financière mais en plus d’exploiter un marché de masse. Et même si le coût pour atteindre ces cibles « exclues » peut sembler élevé, des solutions ayant données des résultats positifs existent ailleurs ;de quoi inspirer les fournisseurs de services financiers numériques au Sénégal.
La finance digitale a le potentiel pour accélérer l’inclusion financière. Cela se fera d’autant plus rapidement que les acteurs privilégieront des offres dédiées et adaptées aux populations les plus délaissées par la finance classique.
1. Banque, institution de microfinance, compagnie d’assurance, ou la poste2. Village situé dans la région de Kaolack, au Centre du Sénégal
3. A la fin Q3 2017, on estime à plus de 6M le nombre de smartphones connectés aux réseaux de télécommunications au Sénégal - www.gsmaintelligence.com