Comment passer du cash au numérique dans l’agriculture?
Le numérique , une nouvelle opportunité pour les chaines de valeur agricoles au Sénégal.
L'agriculture sénégalaise emploie près de 70% de la population.
Tags
Par Bruno Aka, Consultant en Finance Digitale, MM4P-Sénégal.
Pour plus d'informations, veuillez contacter:
Bery Dieye Kandji
KM Consultant, MM4P Sénegal
Le secteur agricole est considéré comme un des leviers de l'économie sénégalaise, compte tenu de la population qui en dépend directement, de sa dimension stratégique en matière de sécurité alimentaire, et de sa contribution dans la régulation des équilibres macroéconomiques et sociaux. Il constitue une véritable source de création d’emplois directs et indirects : l’agriculture emploie près de 2/3 de la population sénégalaise et on compte 755 532 ménages agricoles.1
Les cultures pratiquées sont majoritairement vivrières (91%) et portent, pour l’essentiel, sur le mil, le niébé, le maïs, le riz et le sorgho. La principale culture industrielle reste l’arachide (75%). La contribution de l’agriculture à la richesse nationale est en constante augmentation depuis 2011, passant de 6% à 8,43% en 2015, puis à 9% en 2016.2
Toutefois les exploitants agricoles demeurent largement exclus du système financier formel. En effet, les services financiers bancaires et de microfinance ont une faible couverture des zones rurales au Sénégal. Sur la période 2000-2011, seuls 3% des crédits bancaires déclarés à la centrale des risques étaient alloués au secteur agricole, soit 68 milliards FCFA, du fait essentiellement de la Caisse Nationale de Crédit Agricole du Sénégal.3
Les fournisseurs de services financiers numériques (SFN) ne consacrent que 12% de leur portefeuille aux activités agricoles et rurales, soit 36 milliards FCFA.4
Cependant, on note une grande circulation du cash au sein des différentes filières agricoles, ce qui engendre plusieurs défis pour les producteurs :
- La sécurité. De nombreux cas de vols ou pertes sont fréquemment notés après des paiements en cash.
- Une gestion financière difficile. En effet, les agriculteurs reçoivent des revenus uniquement au cours des périodes de récoltes et souvent manquent de ressources le reste de l’année.
- La dépendance des agriculteurs aux paiements en espèces qui sont volatiles par essence, limite leur possibilité d’accéder à d’autres services financiers comme le crédit, l’épargne ou même l’assurance.
Pourtant des solutions existent qui peuvent faciliter la vie des agriculteurs. En Côte d’Ivoire, par exemple, l’institution de microfinance Advans, en partenariat avec l’opérateur télécom MTN, a lancé en 2015 un projet de digitalisation des flux de paiement des coopératives aux producteurs dans la filière cacao. L’objectif principal était de sécuriser les fonds des producteurs sur des comptes bancaires personnels. Le projet a été adopté par 58 coopératives sur les 61 approchées, permettant ainsi à 7 000 planteurs de disposer d’un compte d’épargne alors que la majorité d’entre eux était à leur première utilisation d’un menu USSD.5
D’autres types de solutions numériques sont également possibles pour le monde agricole. Comme l’éducation numérique sur les pratiques agricoles (modalités d’utilisation des intrants par exemple), la création de bases de données et la diffusion d’informations sur les prix, le suivi des sols, les conditions météorologiques etc. Au Sénégal, la start-up M-Louma travaille sur cette offre. A cela, il faut ajouter les solutions de suivi et de traçabilité de la production et d’analyse prédictive pour une agriculture de précision.
Aujourd’hui, la problématique de digitalisation des flux de paiement dans les filières agricoles au Sénégal suscite beaucoup d’engouement au sein de l’écosystème de la finance digitale. Plusieurs cadres de concertation ont déjà été initiés pour réfléchir sur la valeur ajoutée de la digitalisation sur les chaînes de valeurs agricoles. Le programme Agrifinance de UNCDF a organisé en octobre 2017 un atelier de réflexion et de partage sur le financement de la filière pomme de terre confirmant ainsi, l’intérêt des parties prenantes du secteur agricole (Gouvernement, producteurs, fournisseurs d’intrants, prestataires de services financiers) pour les services numériques.
Par ailleurs, en novembre 2017, UNCDF-MM4P a été convié à partager son expertise sur les enjeux de la finance digitale dans le secteur agricole, lors d’un panel organisé par Ecobank Sénégal avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème.
L’opportunité existe bel et bien et pourrait contribuer à sortir les agriculteurs de la pauvreté. Toutefois, la digitalisation à elle seule ne saurait constituer la solution au problème. Les considérations ci-après méritent d’être prises en compte dans l’implémentation de solutions digitales pour les chaînes de valeur agricoles :
- L’adoption du digital dans les chaînes de valeur agricoles est plus appropriée là où les agriculteurs sont habitués à recevoir des paiements différés ;
- L’utilisation du digital est plus adaptée aux chaînes de valeur où les agriculteurs vendent leurs récoltes à intervalles réguliers ;
- Une tarification sur mesure est souhaitable ;
- L’utilisation du canal USSD n’étant toujours pas aisée pour le monde rural, une formation est un incontournable;
- Une approche de mise en œuvre graduelle est essentielle pour l’adoption des services proposés ;
- Une offre orientée uniquement sur l’épargne et les services de paiement pourrait ne pas être suffisant pour fidéliser les producteurs.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1. Recensement Général de la Population et de l’Habitat, de l’Agriculture et de l’Elevage (RGPHAE 2013)↩
2. Source : République du Sénégal, PTIP-2017 ↩
3. PRACAS ,2014 (https://www.ipar.sn/IMG/pdf/pracas_version_finale_officiele.pdf)↩
4. Direction de la Microfinance Sénégal, 2016 ↩
5. Advancing financial inclusion to improve the lives of the poor www.cgap.org (juillet 2016) ↩