Faire du secteur minier un levier de développement local dans les pays les moins avancés, que tirer des expériences de la Guinée ?
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Cet article relate les points clés de l’étude commanditée par l’UNCDF, en collaboration avec la Chambre des Mines de Guinée, et fait le point sur les expériences en cours en matière de financement du développement local.
1) L’étude de l’UNCDF en collaboration avec la Chambre des Mines de Guinée : développement et exploitation minière
Cette étude a consisté en un cadrage sur le développement communautaire et le contenu local dans le secteur minier des pays les moins avancés (PMA) d’Afrique de l’ouest. L’objectif spécifique de l’étude est de dresser un état des lieux des principales initiatives et mécanismes de financement publics et privés, du développement communautaire dans le secteur minier et d’identifier les acteurs et les dynamiques innovantes à l’œuvre. Dans cet élan, sept (07) pays miniers que sont la Guinée, le Burkina Faso, l’Afrique du Sud, le Mali, la Sierra Léone, le Ghana et le Senegal, dont le secteur minier tient une part importante dans l’économie nationale au point qu’ils sont qualifiés d’« économie minière », sont intégrés dans l’analyse. L’Afrique du Sud et le Ghana n’étant pas des PMA, sont uniquement considérés dans un objectif d’analyse comparatif.
L’analyse des politiques et législations minières des pays à l’étude montre que dès 2009, les Gouvernements ont commencé à comprendre l’intérêt de cette industrie pour le développement. Le document « Vision du régime minier de l’Afrique » (VMA) est le premier document panafricain de politique minière, élaboré sous l’égide de l’Union Africaine (UA). Cette Vision envisage une approche globale du développement du continent par la valorisation de ses ressources minérales, à travers la poursuite d’un objectif général : la transformation du capital naturel en capital humain, industriel et technologique. Il est suivi en 2016, par le lancement d’un Pacte entre des sociétés minières et des gouvernements africains comme soutien à la VMA. Durant ces 10 dernières années, de nombreux pays ont également procédé à une refonte, à une révision ou à un amendement de leur Code minier, suivant une stratégie d’harmonisation régionale. Ainsi, la majorité des codes dits de « nouvelle génération » introduisent des mesures destinées à faciliter l’arrivée des investisseurs tout en garantissant une augmentation de la contribution du secteur minier à l’économie nationale (Guinée, (amendement en 2013 du code de 2011), Sénégal (2016), Burkina Faso (2015), Mali (2019), Sierra Leone (révision en cours depuis 2019), Ghana (code amendé en 2015), Afrique du Sud (nouvelle Charte minière en 2018). Pour une large part d’entre eux, ces nouveaux codes reflètent une volonté générale de meilleure prise en charge des impacts environnementaux et socio-économiques et un accent porté sur le financement du développement local.
Par ailleurs, les mesures non monétaires pour évaluer les retombées de ce secteur sur la gouvernance et le développement révèlent que la conversion de la croissance macro-économique générée par le secteur minier en levier de réduction de la pauvreté et d’amélioration de la gouvernance demeure relativement limitée. Concernant le Ghana et l’Afrique du Sud, une corrélation se dégage entre le niveau de l’IDH (qui reste cependant relativement faible), et les indices de gouvernance (Mo Ibrahim et NRGI) qui sont à un niveau parmi les plus élevés des pays à l’étude. Cette corrélation révèle que plus la gouvernance, dont la gouvernance minière, d’un pays est bonne, plus sa population a de chance de bénéficier de retombées minières substantielles en termes de développement social, économique et environnemental. Les IDH les plus bas se retrouvent au Mali, en Sierre Leone, au Burkina Faso et en Guinée, ce sont également des pays pour lesquels les indices de gouvernance (dont celui des ressources naturelles) sont évalués insuffisants. Bien que l’Indice Mo Ibrahim de la gouvernance africaine démontre une nette amélioration pour le Sénégal, le Burkina Faso et la Guinée, l’IDH y demeure faible.
Le contenu local est une dimension essentielle des impacts positifs potentiels de l’exploitation minière sur le développement. En effet, c’est de la capacité à distribuer les bénéfices financiers de l’exploitation minière pour la fourniture des services de base et la promotion des activités économiques que dépendra la possibilité pour les pays d’entrer dans le cercle vertueux du développement. Comment ce contenu local, clairement inscrit dans les codes miniers se traduit-il dans des mécanismes de financement ? L’étude envisage quelques expériences positives, dont celle promue par UNCDF à travers ses mécanismes de transfert de royalties aux collectivités locales.
2) Des mécanismes innovants testés en Guinée
Focus sur un exemple de transfert de fonds aux collectivités locales : le FODEL
Dans la plupart des codes miniers, le mécanisme principal consiste en la réallocation d’une partie de la rente minière au profit du développement local. Généralement, c’est un pourcentage du chiffre d’affaire annuel des entreprises entrées en phase d’exploitation qui est reversé dans les budgets des collectivités locales voire régionales selon des clés de répartition spécifiques à chaque pays. Cependant, se posent des inquiétudes relatives aux compétences locales vis-à-vis de la gestion de ces fonds qui peuvent se chiffrer en centaines de milliers de $USD pour certaines communes minières. Également, il ressort un risque avéré de voir se multiplier les projets d’infrastructures à vocation sociales locales au détriment de projets structurant favorisant la diversification du tissu économique local. Le Fonds de Développement Economique Local (FODEL), assorti de l’appui du programme AGREM (Appui à la Gestion des Redevances de l’Exploitation Minière) constitue un exemple intéressant.
Le FODEL est né de plusieurs expériences de financement par les sociétés minières des Fonds de Développement Local (FDL) mis en place par UNCDF. Plutôt que de financer directement des infrastructures de base, les sociétés minières ont très tôt compris l’intérêt d’utiliser un mécanisme d’aide budgétaire aux collectivités locales. Ces FDL ont plusieurs intérêts : ils permettent de donner aux collectivités locales la possibilité d’investir en cohérence avec leur planification. Ils permettent avec l’appui de UNCDF de créer dès le départ un système dans lequel les collectivités locales maitrisent le processus de passation des marchés, l’appui de UNCDF permettant de garantir la redevabilité et la transparence des mécanismes. Fort de cette expérience, le FODEL fût ultérieurement créé. Il permet de verser 0,5% des royalties de l’exploitation minière aux collectivités locales, ce qui peut représenter une augmentation substantielle de leur capacité d’investissement et nécessiter un appui à la maîtrise d’ouvrage, appui offert par le projet AGREM. Ce projet a été initié par l’UNCDF dans les communes des préfectures de Boké et de Boffa afin de renforcer la capacité d’investissement des collectivités locales et ainsi de permettre d’offrir aux populations les services de base et les infrastructures économiques nécessaires à leur développement. Ainsi, les collectivités locales (communes) gèrent les ressources provenant des redevances minières en vue d’accroitre la livraison de services de base et le développement économique local selon les principes d’équité, de transparence et de redevabilité.
Le FODEL et ses effets de leviers sur de nouveaux mécanismes de financement des infrastructures municipales :
Mais l’expérience ne s’arrête pas à un mécanisme de transfert aux collectivités locales. Quand bien même ce dispositif est nécessaire pour assurer aux collectivités locales une plus grande prévisibilité des ressources, il présente un grand intérêt pour engager les collectivités dans de nouveaux mécanismes de partenariats public et privés, permettant ainsi à ces collectivités locales de maîtriser des infrastructures économiques en faisant appel au secteur privé de façon plus systématique. Dans un objectif de promotion du partenariat public-privé entre la commune urbaine de Boffa, l’UNCDF, l’Agence Française de Développement (AFD)/Charente Maritime Coopération (CMC), la Société Générale des Banques en Guinée et la Société CARMEN RESOURCES S.A., l’accompagnement de UNCDF a permis la construction du marché moderne de Boffa qui est rentré dans sa phase opérationnelle le 11 février 2020. A ce jour, le niveau de réalisation des travaux est estimé à 95% et la remise provisoire des infrastructures est faite dont : 42 kiosques, un magasin de céréales, un magasin de stockage des produits agricoles, un magasin de poissons fumés, un hangar, une zone de marché hebdomadaire, une unité et équipements de froid, un forage et adduction d’eau, un parking gros porteurs, une latrine de 6 cabines, un groupe d’abri et générateur, un développement de gouttière, une clôture. Ce marché, qui appartient à la commune et bénéficie de financements public et privés, sera mis en concession auprès d’un partenaire privé et bénéficiera ainsi d’une gestion dynamique. Cela permettra également d’assurer à la commune des recettes régulières et substantielles tout en facilitant les relations entre agriculture et zones rurales et débouchés urbains.
Une étape de plus franchie avec une ligne de garantie
Une étape de plus dans le financement du développement local est franchie avec la mise en place d’une ligne de garantie destinée à faciliter l’accès à des financements pour les PMEs des zones de Boffa et de Boké. Cette ligne de garantie est gérée selon un principe partenarial avec la Chambre des mines, représentant des miniers, la Banque et UNCDF. Elle permettra au secteur privé de pouvoir se capitaliser, renforçant ainsi la possibilité de bénéficier des opportunités liées à l’afflux de population dans les zones minières et aux possibilités de sous-traitance offertes par les nouvelles activités menées.
Tous ces mécanismes sont expérimentés en Guinée afin de renforcer le financement du développement local et des initiatives publiques et privés. Ils sont destinés à être mis à l’échelle afin que le pays entier et ses acteurs locaux puissent bénéficier de façon systématique des financements nécessaires pour que l’exploitation minière devienne une réelle opportunité de transformation dans les PMAs.